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Le but de cet article n’est pas de défendre un parti politique mais plutôt de révéler certaines informations qui composent la réalité actuelle du Venezuela afin de mettre en évidence les bases du mécontentement dans ce pays. Nous voulons faire appel à la réflexion car nous considérons que les discours manichéens ainsi que ses mesures institutionnelles respectives, sont les symptômes d’un non-dépassement des processus historiques qui ont affecté la société dans le passé. Des processus et discours qui continuent de porter préjudice à la société dans son ensemble. Nous estimons nécessaire de faire appel à la construction politique, civile et engagée pour un meilleur avenir, égalitaire et juste pour le peuple dans son ensemble. Et cette construction ne pourra être atteinte tant que sera maintenue toute forme de manipulation historique, sociale, institutionnelle, médiatique ou économique.
Ce qui se passe aujourd’hui au Venezuela n’est pas une mise en scène de l’opposition, ni une manipulation des médias ou, encore moins, le résultat des actions de « l’empire yankee (U.S) ». Il s’agit de la lutte d’un énorme secteur de la société vénézuélienne qui n’est pas homogène en matière d’affinité politique. Ce secteur s’unit autour d’un même ras-le-bol face aux conditions de vie amenées par 15 ans de « Socialisme du XXIe siècle ». Ceux qui aujourd’hui protestent au Venezuela font également partie du peuple subjugué et opprimé. Dans ce secteur, on y trouve des individus qui s’identifient à certains dirigeants politiques de l’opposition qui ont un certain poids politique et social dans le pays; des individus qui n’ont aucune affinité avec l’un ou l’autre dirigeant politique mais qui, faisant partie de la société, souffrent des mêmes problèmes que tout le monde; et enfin, des individus qui ont été ou sont encore chavistes, pour les récits prometteurs, mais pour qui, à la fin de la journée, les faits pèsent plus que les mots.
Quels sont les motifs d’un tel mécontentement au sein du peuple vénézuélien ? Les mauvaises conditions de vie dans lesquelles le système de pouvoir chaviste a submergé le peuple sont nombreuses. Mais ces dernières sont un symptôme sclérosé d’un discours parallèle à la réalité qui a été soutenu pendant plus de 15 ans. Un discours manipulateur, stigmatisant et finalement oppresseur. Il y a eu de nombreuses initiatives pour favoriser l’insertion sociale, la redistribution, le développement économique et la souveraineté de production. Mais pour des raisons différentes et réitérées plus tard, ce modèle a fini par devenir plus du marketing qu’autre chose. Car au moment d’établir le bilan, on s’aperçoit d’avantage de ce qui a été rogné que de ce qui a été libéré.
- Faits saillants de la mobilisation actuelle
Voici quelques évènements actuels qui ont mené à la mobilisation d’un vaste secteur de la population vénézuélienne:
-La croissance brutale de l’insécurité : En 1999, 5868 homicides ont été enregistrés et ce chiffre n’a fait qu’augmenter jusqu’à atteindre, en 2013, un bilan de 24 763 victimes de la violence. « Les morts violentes au Venezuela représentent 12% de la mortalité globale. Ce qui signifie que sur 100 vénézuéliens et vénézuéliennes décédés en 2013 pour toute cause possible (maladie cardiaque, cancer, diabète, VIH), 12 d’entre eux sont décédés pour des causes violentes autres que des accidents ou des suicides » (Observatorio de Violencia de Venezuela).
-Le plus haut taux d’inflation dans le monde : 56,1% selon les rapports de janvier et février 2014.
-Pénurie de produits de base dans les supermarchés : lait (frais ou en poudre), farine de maïs, farine de blé, sucre, beurre, huile, café, viande, poulet et autres produits alimentaires. Selon le bulletin de novembre de la Banque Centrale du Venezuela, des pénuries supérieures à 23% ont été enregistrées.
-Pénuries de fournitures médicales : Début novembre 2013, l’on comptait déjà environ 300 000 patients sur les listes d’attente pour des interventions chirurgicales. Des fournitures de base manquent et l’on note l’absence de traitement de chimiothérapie, l’absence de traitement d’iodothérapie, l’absence de traitement avec glucophage, etc.
-Corruption au sein de l’élite « révolutionnaire » : la frustration et la déception que certains ressentent face à la corruption ostentatoire qui a lieu à la tête du pouvoir et qui s’étend à ceux que l’on appelle les « enchufados » (les « branchés »), font également partie de l’ensemble des conditions qui mènent au ras-le-bol général.
Comprenons ici que tout ceci n’est que le résultat d’un système de pouvoir pour le moins cynique. Par ailleurs, un paradoxe de base se pose dès l’instant où un personnage militaire, Chávez, qui avait tenté un coup d’État en 1992, se présente comme candidat à la présidence en 1998 avec des slogans de démocratie et de progrès.
- Certains accords avec Cuba
N’oublions pas que Chávez a déclaré lors d’une interview sur une émission de télévision en 1998 que « Cuba est bel et bien une dictature » (« Cuba sí es una dictadura »). Fait intéressant, le putschiste a assumé démocratiquement et le Cuba « dictatorial » est devenu un « allié » avec une affinité idéologique. Le 30 octobre 2000, les deux pays signent l’Accord Intégral de Coopération (CIC) pour une période de cinq ans. Par le biais de cet accord, le Venezuela finance la fourniture de pétrole à Cuba et le financement initial comprend la fourniture de 53 000 barils par jour (un très petit pourcentage de sa production de pétrole) en échange de biens et de services de soins de santé. L’accord est modifié en 2005, l’augmentation de l’offre de pétrole est de 90 000 barils par jour et, plus tard, en 2010, la durée de l’accord s’étend jusqu’en 2020. Le Venezuela fournit actuellement 105 000 barils par jour mais dans cet échange, le prix du baril est sensiblement inférieur au prix réel. Si Cuba avait dû les payer, cela aurait représenté 3 milliards de dollars au prix du marché international.
Pour ce qui est des soins de santé, il est vrai que le chavisme a mené une initiative importante en étendant les soins de santé à tous les secteurs de la société. Il est vrai aussi que les politiques néolibérales antérieures n’ont pas investi dans le développement social. Mais le plan de développement sanitaire chaviste a été fait au prix d’importer des médecins cubains (CIC) qui occuperont désormais les postes élevés. Nous comprenons que cela aurait pu être fonctionnel, dans un premier temps, pour former et améliorer le système de santé qui existait au début du projet destiné à développer et améliorer la santé publique. Mais aujourd’hui il n’y a plus la nécessité d’avoir des médecins cubains. Cela enlève également l’opportunité à beaucoup de médecins vénézuéliens de progresser dans leur patrie. Par ailleurs, il est inacceptable de constater, parmi les politiques de développement sanitaire et sociale, la brutale pénurie de fournitures médicales que l’on observe aussi bien dans les hôpitaux publics que dans les cliniques privées. Nous savons clairement que sans fournitures aucun médecin ne peut guérir ses patients. Cependant, pour revenir sur l’affinité idéologique, non seulement Cuba envoie des médecins au Venezuela mais aussi, il « contrôle les services d’identification au Venezuela », comme l’a déclaré Alfredo Valladão, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris et responsable de la Chaire Mercosur. Il y a plusieurs faits qui démontrent une ingérence cubaine au Venezuela. Il faut garder à l’esprit que le système de Castro qui se dit être beaucoup plus démocratique que celui de n’importe quel autre pays, a eu un bilan d’environ 30 000 exécutés et près de 2 000 000 d’exilés. Les relations aussi étroites qu’entretient le Venezuela avec ce pays sont pour le moins dignes de suspicion populaire.
- La richesse pétrolière au service des nouvelles élites
Le pétrole, l’ « or noir » qui abonde au Venezuela (première réserve mondiale de pétrole non conventionnel) est et a été institutionnellement manipulé par le gouvernement. Il est vrai que Chávez a piloté le renforcement de l’OPEP et a renforcé la souveraineté du Venezuela sur son pétrole. Ces nouvelles conditions géopolitiques auraient pu apporter de grands avantages au Venezuela au niveau de la croissance et du développement dans divers secteurs industriels et sociaux. Mais cela seulement si les choses avaient été faites correctement, bien entendu. Chávez a également alloué un pourcentage significatif des revenus de la production de PDVSA (abrégé de « Petróleos de Venezuela SA » qui est la compagnie pétrolière appartenant à l’État vénézuélien) à de nombreux projets sociaux. Ce qui est surprenant est que l’augmentation des recettes pétrolières n’a pas été utilisée proportionnellement en faveur des classes pauvres que le Commandant Chávez disait défendre, bien au contraire. Selon Francisco Rodríguez (Economiste en Chef du Bureau du Conseil consultatif économique et financier de l’Assemblée nationale du Venezuela entre 2000 et 2004), le Fondo Único Social (FUS) créé par Chávez pour coordonner la distribution de fonds pour les programmes de lutte contre la pauvreté, comprenait une clause qui garantissait le bénéfice de ces fonds face à la hausse des revenus pétroliers. Mais en pleine flambée du prix du pétrole en 2001, la clause n’a pas été prise en compte et il a été attribué au FUS 15% de moins que l’année précédente. Et comme l’indique F. Rodríguez, lorsque son Bureau a signalé cette contradiction, « le ministre des Finances a eu l’idée d’une ingénieuse astuce de comptabilité, de réajuster la loi pour que les programmes non coordonnés par le FUS semblent, d’une manière ou d’une autre, recevoir des fonds de celui-ci. L’effet consistait à dévier les ressources des pauvres y compris lorsque les recettes pétrolières augmentaient de façon spectaculaire ». Depuis lors, le départ immédiat de Rodríguez a été exigé et le Bureau a été dissous. ( FRANCISCO RODRIGUEZ, “Una Revolución vacía” – Foreign Affairs Latinoamérica – 2008).
Le gouvernement Chávez a pu, dans ces conditions, modifier à sa guise les « règles du jeu ». Ainsi, par exemple, il a encouragé des accords d’exportation pour les Caraïbes, Amérique centrale et du Sud et a privilégié des relations avec les pays ayant des compagnies pétrolières nationales comme l’Argentine, l’Uruguay, le Chili, l’Equateur, Cuba ou le Vietnam. Une excellente initiative développeuse de nouvelles et plus solides forces économiques dans le monde si l’on veut. Parallèlement, les relations avec la Chine se sont consolidées, cette dernière ayant octroyé de très importants prêts qui devaient être principalement destinés à des « missions sociales » ainsi qu’au développement économique et à l’investissement industriel. En échange, le Venezuela fournit du pétrole. L’année dernière, 20 milliards des 36 milliards de la dette avec la Chine ont été annulés. « 640 000 barils journaliers de pétrole à la Chine, dont 264 000 sont utilisés pour le paiement de la dette que le pays sud-américain a avec le géant asiatique par des crédits que Pékin lui a accordé ces dernières années. » De nouveau, ce que nous critiquons ici ne sont pas les initiatives mais plutôt le manque de transparence, le népotisme et la manipulation du pouvoir et des ressources qui s’immiscent dans les projets, laissant des bilans négatifs. De nombreux ingénieurs vénézuéliens spécialisés dans les hydrocarbures se sont vus forcés d’être extradés vers la Colombie, l’Équateur, l’Argentine, le Mexique, le Canada, le Moyen-Orient et d’autres pays. Alors que l’État se dit défendre l’égalité sociale et promouvoir le développement latino-américain, il se réserve pourtant le « droit d’admission » (idéologique) pour travailler et surtout, pour réussir à PDVSA. Toutefois, le plus cynique de la politique de souveraineté énergétique de ce modèle est que, indépendamment de leur idéologie, les travailleurs finissent par subir les dommages d’un système qui n’investit pas suffisamment dans les infrastructures et la sécurité. La preuve en est l’explosion survenue le 25 août 2012 à la raffinerie Amuay du Complexe de Raffinage Paraguaná, située au nord-ouest du pays. Explosion qui est à l’origine de pas moins de 41 morts et 151 blessés. En outre, « en 2011, 222 incidents ont été signalés y compris environ 100 incendies dont beaucoup se produisent dans des tranchées de tuyaux contaminés », nous le signale le « Rapport de mise à jour des recommandations d’amélioration des risques ».
Mais la « volonté de puissance » a toujours besoin de plus. Le pouvoir chaviste a utilisé avec succès PDVSA pour satisfaire à ses besoins de contrôle. Si bien qu’aujourd’hui PDVSA gère beaucoup plus que la production de pétrole en elle-même. A travers celle-ci, l’État a réussi à s’approprier les principaux moyens de production, la distribution et l’importation de biens et services dans le pays comme c’est le cas pour : Teléfonos de Venezuela, Electricidad de Caracas, Cemex (production de ciment), Conviasa (compagnie aérienne), Venetur (entreprises de tourisme et chaînes hôtelières), le métro de Caracas, etc. Aussi, à travers les réseaux Mercal et PDVAL, ils se sont accaparés de la production, l’importation et la distribution de nourriture. (Políticas en el intercambio comercial del sector agrícola venezolano). Donc, la pénurie alimentaire est-t-elle réellement due au « boycott » de l’opposition? Et ce, même quand l’importation et la distribution de nourriture sont pour la plupart dans les mains de l’État?
- Le développement des secteurs non pétroliers
En termes de souveraineté alimentaire et de développement économique dans le secteur non pétrolier, nombreux sont les résultats tronqués. Dans une étude menée par María Guerra, Alexis López et Norma Boersner dans le cadre de la XVI Réunion d’économie mondiale (2012), on a pu observer quelques «échecs». Y sont de nouveau mentionnés des plans destinés au progrès, au développement et à l’égalité sociale et économique. Nous ne pouvons pas nier que, en termes d’initiatives, le chavisme a pris les devants. Nous mentionnerons ici quatre plans (Políticas en el intercambio comercial del sector agrícola venezolano): (1) Le Plan de Développement Economique et Social de la Nation 2001-2007 (PDES). Il présente un « modèle de production capable de générer une croissance auto-soutenue de l’économie à travers la promotion de la diversification des offres d’exportation hors pétrole et d’atteindre la compétitivité internationale dans un contexte de stabilité macroéconomique. Ce qui faciliterait une réinsertion profonde et diversifiée dans le commerce internationale (Ministère de Planification et Développement, MPD, 2001b). Il cherche à renforcer la souveraineté nationale et la consolidation d’un monde multipolaire pour inverser la concentration du pouvoir des organisations multilatérales et encourager une action concertée des pays en voie de développement. » (2) Le Plan Stratégique National du Commerce Extérieur 2004 – 2007 ; axé sur trois types de politiques: a) Industrielle b) Commerciale et c) Internationale. Dans le secteur agricole, ce plan établit des programmes de commerce extérieur qui encouragent le développement des secteurs agricoles, de la pêche et forestier pour améliorer la balance commerciale de l’agriculture et assurer la souveraineté alimentaire de la nation. (3) Le Premier Plan Socialiste ou Projet national Simón Bolivar 2007-2013 ; il vise le modèle socialiste de production. Il se compose de sept « lignes directrices »: 1 – « Nouvelle éthique socialiste »; 2 – « Le bonheur social suprême »; 3 – « Démocratie protagoniste révolutionnaire »; 4 – « Modèle de production socialiste »; 5 – « Nouvelle géopolitique nationale »; 6 – « Venezuela puissance énergétique mondiale »; 7 –« Nouvelle géopolitique internationale ».
En 2008, la Loi organique sur la Sécurité et la Souveraineté Alimentaire (LOSSA) a été promulguée suite à la nécessité de développer l’agriculture qui constitue un élément stratégique pour lutter contre la pauvreté. Et avec la présente loi, des terres, des entreprises et des industries de la région agricole ont été saisies et acquises par la force depuis 2008. Comme les trois auteurs de l’ouvrage précité le font remarquer, « C’est seulement au sud du Lac de Maracaibo que les fermes productives ont été expropriées et données à des entreprises russes, ce qui a fait chuter de 60% la production de viande, de lait et de bananes. En outre, les échanges de produits agricoles et industriels aussi bien nationaux qu’internationaux, en utilisant le schéma de l’échange ou du troc, – c’est le cas des accords avec Cuba, les pays membres de l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA) et Petrocaribe – ont considérablement affecté l’économie agricole. » Ce qui est paradoxal, si l’on veut, c’est qu’à la suite d’aussi importants et « profonds » efforts réalisés depuis l’arrivée de Chávez au pouvoir, il existe aujourd’hui moins d’indépendance qu’avant. En 1998, 30% des aliments consommés ont été importés. Et en 2012, c’est 70% qui ont été importés avec une augmentation des prix correspondant à la dévaluation la plus élevée de l’Amérique latine. En 2011, il y avait déjà une pénurie de produits de base de 24%. Aujourd’hui, le Venezuela se retrouve dans la nécessité « d’importer 90% de ses approvisionnements alimentaires », selon Renée Fregosi (Directrice de la recherche en science politique à l’Institut des Hautes Etudes de l’Amérique Latine, Université Paris 3 Sorbonne- Nouvelle).
Qu’est-il donc arrivé au « développement endogène » et à la « souveraineté alimentaire »?
- Le contrôle excessif des médias n’encourage pas la liberté d’expression
Récapitulons et observons le revers de ces plans et projets. La réalité nous apporte des informations concrètes: augmentation de la violence et des homicides; augmentation des pénuries; diminution de la production agricole; diminution de la production de pétrole. Nous pouvons naïvement nous poser les questions suivantes : Pourquoi Chávez a-t-il continué d’être élu ? Pourquoi personne ne se rendait compte de ce qui se passait ? Nous répondons à cette question d’après une voix historique: jamais des processus historiques tragiques n’ont été « neutralisés » à temps. Et cela a toujours été le cas pour diverses raisons entre-liées. Un point important à souligner est la manipulation médiatique et la propagande d’État. Nous savons que les gouvernements ne disent pas toujours la vérité et font de leur mieux pour cacher leurs fautes. Nous savons aussi que le degré de totalitarisme d’un gouvernement est souvent étroitement lié au quantum de « liberté d’expression » qui règne sur son territoire. Le Commandant Chávez retire la licence à RCTV en 2007 ainsi qu’en 2009 à 38 autres moyens de communication audio-visuelle (télévision et radio). Officiellement, ces derniers étaient dus à des « raisons administratives » et ont eu lieu étrangement après que Chávez ait annoncé son désir de « démocratiser » les moyens de communication. Dans ce contexte, le 30 Juillet 2009, le procureur général de la République, Luisa Ortega Díaz a déclaré: « Il est nécessaire que l’État vénézuélien règle la liberté d’expression. Je demande qu’une limite sur ce droit soit placée». Très rapidement, les changements correspondants ont été réalisés dans la loi Resorte, en y incluant quelques « délits » comme celui, notamment, de relayer des informations qui « porteraient atteinte aux intérêts de l’État » ou constituerait une offense à la « moralité publique » et à la « santé mentale ». Les pénalités pour ces infractions peuvent entraîner une peine allant jusqu’à quatre ans de prison.
Le 15 Juillet 2010, la Cour suprême de justice rejette un recours de protection qui avait été porté contre la Cour Generale des Comptes (Contraloría General de la República Bolivariana de Venezuela) pour avoir refusé de fournir des informations concernant la rémunération des fonctionnaires membres du Bureau chargés du contrôle de l’utilisation des fonds publics. La Cour a fait valoir que le droit à l’information publique n’est pas un droit absolu et que les informations telles que les revenus des fonctionnaires ou leurs déclarations sous serment font « partie de leur vie privée ». De telle façon qu’il n’y a pas besoin qu’ils soient publiés, puisqu’il n’a pas été possible de démontrer que ces informations « seraient utiles pour la participation citoyenne en faveur de la transparence de la gestion publique ». Le 20 Juillet 2010, le commandant Chávez annonce que l’État devient l’actionnaire majoritaire de Globovisión. En 1998, Chávez lui-même disait: « non, s’en est assez avec les moyens de communication que l’État détient. L’État détient désormais la chaîne de télévision vénézuélienne canal 8. Il faut renforcer l’État, il doit travailler en fonction de l’éducation nationale, des valeurs nationales. En ce qui concerne les autres chaînes, j’ai les meilleures relations avec elles, avec les médias. Ils doivent rester privés, nous sommes plutôt intéressés à les élargir, les approfondir (…) Nous avons également dit que nous sommes prêts à fournir des facilités, plus grandes que celles déjà existantes, aux capitaux privés internationaux pour qu’ils viennent investir ici dans divers domaines: agriculture, agro-industrie, pétrochimie, industrie du gaz, tout ce qui contribue au développement du pays. Pour que vous voyiez que nous avons un projet assez ambitieux qui aura besoin de l’investissement privé. Et j’en profite pour faire un appel à tout le monde, je ne suis pas le diable. Je suis un homme qui va, avec les meilleurs liens de fraternité, travailler avec l’ensemble de tous les pays d’Amérique latine, d’Amérique du Nord et de tout le monde entier ». (Interview).
- Ce sont la conscience et la mémoire qui indiquent le chemin au peuple
Dans quelle mesure un peuple continue-t-il à s’appuyer sur un système de pouvoir qui se dit travailler pour la paix, le progrès, le bien-être et l’abondance quand la réalité démontre le contraire? Le peuple vénézuélien a déjà eu 15 ans pour constater (Jorge Olabarría, 5 juillet 1999) que le dispositif chaviste ne fait pas ce qu’il préconise. Il est difficile, dans ce contexte, de croire que les élections de 2013 ont été légitimes. Mais il a été dit au peuple que l’opposition est « mauvaise », qu’elle « veut tout lui retirer », qu’elle est fasciste, d’extrême-droite et une infinité d’etcetera manichéens. Les discours promeuvent tous la paranoïa, la rancune, la polarité et la violence sociale. De la même manière qu’ils promeuvent l’enracinement de Chávez au pouvoir. Et cette propagande crée de nombreux problèmes qui vont au-delà de l’économie, à travers l’endoctrinement et la manipulation (économique et psychologique) des secteurs sociaux les plus défavorisés – le 25 février 2014, le ministre de l’Éducation du Venezuela et vice-président pour le secteur social, Hector Rodríguez, a déclaré: « (...) ce n’est pas que l’on va sortir les gens de la pauvreté pour les emmener à la classe moyenne et qu’ils aspirent ensuite être des « escuálidos », [terme péjoratif utilisé pour les opposants] » – ; à travers la suppression du Congrès bicaméral pour créer une Assemblée Nationale Constituante avec écrasante majorité chaviste qui permettrait de modifier la Constitution et attribuer plus de pouvoir au Chef de l’État, entre autres; à travers la création de groupes paramilitaires tels que les Tupamaros et les Colectivos, dont l’État nie délibérément l’existence malgré de nombreuses preuves qui démontrent le contraire; à travers l’expansion des différentes forces armées qui ne répriment pas que dans les moments de trouble; à travers des discours de victimisation et à travers le mensonge éhonté et institutionnalisé, l’État chaviste encrasse le terrain. Nous pensons qu’il est cynique de dire, compte tenu de tout ce qui a été mentionné, que le chavisme œuvre pour la « paix et l’amour », le progrès et le « bonheur suprême ». Selon Paula Vásquez Lezama (Vénézuélienne, licenciée en sociologie et anthropologie -UCV- et Docteure en anthropologie sociale à la Sorbonne, chef de projets de l’UNICEF au Venezuela pendant deux ans et actuellement chargée de recherches au CNRS de France) il existe un silence forcé : « Dans les quartiers, les Colectivos (groupes paramilitaires) qui se déplacent en motos intimident les habitants et font la loi ». Les Colectivos, à l’instar des Tupamaros, sont des groupes paramilitaires créés, endoctrinés et goupillés par l’appareil d’Etat chaviste.
- La lutte sociale, aussi évident que cela puisse paraître, est en cours d’élaboration au sein de la société elle-même. Et non pas dans l’enceinte d’un parti politique
Dans ce scénario, l’opposition se légitime en tant que symbole d’alternative et de changement face au désastreux statu quo instauré. Mais nous pensons que cette légitimation des leaders de l’opposition a lieu plutôt par décantation que par « conviction », au moins en termes de majorités. Lorsque tout le monde en a ras-le-bol, certains événements finissent par être déclencheurs de manifestations massives. Cela a été le cas du vol et de l’assassinat d’une ex- miss Venezuela et de son mari, laissant une fille de 7 ans orpheline. Cela s’est produit quelques jours après le commencement de 2014, peu de temps après des élections douteuses et au sein d’un mécontentement assez répandu. Alors, face à cela, les gens ont besoin de crier avec brio, l’État fait preuve de négligence depuis des années et les leaders de l’opposition font leur campagne. L’eau est bouillie et il n’y a pas de temps pour la laisser couler sous les ponts. C’est ce qui s’est passé: Le 23 janvier 2014, Leopoldo López et María Corina Machado (membres de la MUD) proposent une campagne politique, dans un cadre non-électoral : « la salida » (« la sortie ») pour le 12 février 2014. Cette proposition, stimulée par des protestations ou des manifestations de masse, suggère précisément la sortie du chef du gouvernement dans un cadre « pacifique et constitutionnel ». Les suivantes sorties possibles sont envisagées : 1- le référendum révocatoire, 2 – l’amendement constitutionnel, 3 –la réforme constitutionnelle, 4 – la constituante, 5 – le renoncement. Toutes ces sorties possibles que prévoit la Constitution impliquent un processus électoral à la suite de la destitution du président mandataire.
Un autre événement qui a donné force à l’appel de L. López et M. C Machado a été le 4 février dernier, lorsque des étudiants sont sortis manifester contre l’insécurité. Cette manifestation était due à la tentative de viol d’une étudiante de l’Université des Andes, à Táchira. Il a été encore une fois question d’une manifestation de répudiation et de dégoût: dans le courant du dernier mois de janvier, des épisodes successifs de violence ayant eu lieu dans des campus universitaires ont été dénoncés. « Les faits saillants ont été le vol massif à l’Université Santa María, le vol des étudiants de l’Université catholique Andrés Bello, un autre vol d’une salle entière à l’Université Alejandro Humboldt, les coups de couteaux reçus par un étudiant en médecine à l’Hôpital Pérez de León ». Or, le jour de la manifestation étudiante (4 février) il y a des blessés et des arrestations et les étudiants d’universités de tout le pays se rejoignent non seulement pour réclamer des mesures mais aussi, pour exiger la libération des étudiants détenus.
Le 12 février, tous les groupes de l’opposition sortent dans les rues pour plusieurs raisons : choc général, l’assassinat de l’ex-miss Venezuela et de son mari, le soutien aux étudiants et l’appel de L. López et M. C. Machado. A partir d’ici, nous connaissons le déroulement des évènements, la répression par la Garde Nationale Bolivarienne, par la Police Bolivarienne ainsi que par la Garde du Peuple. Le chef du gouvernement déclare sur la chaîne nationale qu’il désire « paix et amour » et ensuite, catégorise de violents et fascistes ceux qui manifestent. Le leader de l’opposition Leopoldo López est emprisonné dans une prison militaire, accusé sans fondement d’avoir commis de graves délits. Les Colectivos et les Tupamaros attaquent, s’infiltrent, violentent et provoquent. Ce sont ceux que nous voyons habituellement sur des motos, cagoulés et armés. Le gouvernement montre des « preuves » de « dissidents violents » alors que le peuple voit des Colectivos et des Tupamaros dans les rues. Or, il ne serait pas étrange non plus qu’un groupe de l’opposition fasse également des siennes. En effet, il ne serait pas inouï de penser à la possibilité que des individus aient été payés par certains groupes de l’opposition pour se faire passer pour des « pro-chavistes ». Mais il n’existe aucune preuve de cela, ce ne sont que de simples conjectures. Il convient de noter toutefois que les photos de civils portant des armes de poing n’indiquent en rien leur appartenance politique. Les armes au Venezuela n’ont pas d’idéologie, elles sont détenues par tout type d’individus.
Le système de pouvoir chaviste a travaillé presque exclusivement pour la croissance de son pouvoir et sa continuité dans l’exercice de celui-ci. Et au milieu de tout cela, nous avons la manipulation médiatique des deux côtés du tableau mais aussi, l’exploitation des événements par les médias dominants des deux côtés. Mais ceux qui meurent et sont blessés sont des civils ; des individus fatigués de vivre opprimés qui sortent manifester ; des citoyens qui deviennent célèbres dans le monde, médiatisés par la tragédie qui les occupent. Tout cela finit par être manipulé pour arborer, dans de nombreux cas, des discours politiques qui maintiennent des positions manichéennes. Il semble n’y avoir aucune proposition forte et issue du peuple qui constituerait une réelle solution face à la situation.
Nous comprenons, en tout cas, qu’un secteur important de la société souhaite que le mandat de l’actuel chef de l’État soit révoqué pour ainsi commencer un nouveau cycle. Nous comprenons également qu’il y a des secteurs qui ne peuvent sortir protester de peur d’être exécutés. Il y a d’autres secteurs de la société qui ne sont pas conformes à la politique actuelle mais qui ne s’identifient pas à ceux qui protestent aujourd’hui dans les rues du Venezuela. Alors que certains sont décidés ou doutent, le gouvernement quant à lui réprime et censure en utilisant tous les moyens dont il dispose. Ce sera un travail difficile auquel feront face les hommes politiques et la société dans son ensemble pour construire un Venezuela plus juste, pacifique, souverain et riche. Qui écrit ici comprend qu’une éducation émancipatrice et de qualité est un élément essentiel et fondamental qui doit faire partie de tout nouveau projet politique qui serait entrepris.
Gloria al Bravo Pueblo!
Carolina M.
Traduit de l’espagnol par L. Salvador